INTERVENTION
- Question écrite adressée à M. le président de la Polynésie française
- Objet : Conditions hasardeuses des « evasan » inter-îles dans l’archipel des Marquises
DOCUMENTS
Monsieur le Président, Ia ora na,
« Une femme meurt après 15 heures d’evasan ». Tel est le titre poignant d’un article paru le mercredi 6 juillet 2016 dans un quotidien de la place relatant les conditions déplorables de transfert d’une patiente de Ua Huka en état de choc septique.
Une perte humaine de plus sur la liste de Polynésiens des archipels éloignés, victimes de la carence, de l’inadaptation et de la désorganisation des moyens de secours inter-îles.
L’île infortunée de Ua Huka dont est originaire cette victime, avait déjà vécu pareil drame en octobre 2014 « après le décès d’un homme de 33 ans suite à un accident de voiture lors de son transfert vers Nuku Hiva… La lenteur et les conditions difficiles de son évasan avaient peut être empêché de sauver ce père de famille. »
D’octobre 2014 à juillet 2016, le Pays n’aura rien fait pour remédier à cette situation, absolument RIEN.
Ce nouvel événement tragique requiert pourtant des autorités du Pays d’agir rapidement :
afin que ce drame ne devienne pas un simple fait divers voué à retomber dans l’oubli, a fortiori dans l’indifférence la plus totale de votre gouvernement ;
en raison des demandes récurrentes émanant des maires de la communauté de communes des Marquises, impuissants et révoltés face au problème chronique des mauvaises conditions d’Evasans endurées au quotidien par leurs populations ;
en raison des risques croissants que les familles de victimes se mobilisent à juste titre pour déposer des recours contre le Pays.
Ce ne sont pas les aspects purement sanitaires qui m’amènent à vous poser la présente question écrite mais les conditions calamiteuses de secours et de transport inter-îles de nos malades de l’archipel des Marquises.
Les faits chronologiques concernant la prise en charge de cette jeune femme évacuée et décédée sont les suivants :
1- Le mardi 5 juillet vers 14 heures, deux jeunes femmes d’une même famille viennent consulter à l’infirmerie de Ua Huka, et sont jugées « dans un état de santé très préoccupant » par l’infirmier qui leur dispense les premiers soins d’urgence avant d’appeler le SMUR pour déclencher une Evasan vers l’hôpital de Taiohae.
2- Les jeunes femmes ont dû prendre leur mal en patience pendant 6 longues heures à l’infirmerie avant d’être transférées vers Taiohae car le SMUR n’a trouvé aucun moyen d’évacuation disponible : pas d’avion et pas de bateau homologués au transport de personnes sur Ua Huka.
Au final le haut-commissaire a dû réquisitionner un bonitier de Nuku Hiva, non homologué au transport de personnes, pour assurer l’évacuation urgente de ces deux patientes dont une se trouvait dans un état de collapsus vital depuis son admission à l’infirmerie.
3- « Le bateau pour (les) emmener à l’hôpital n’arrivera à quai (à Ua Huka) que vers 20 h 30 ». Le transfert sur Nuku Hiva aura lieu en pleine nuit. Accompagnées par l’infirmier, « les deux sœurs n’arriveront à l’hôpital des Marquises que vers 23 heures. La première des deux sœurs, celle âgée de 29 ans, est immédiatement emmenée à l’aéroport de l’archipel. La seconde, dont l’état est moins préoccupant, reste sur place. »
4- L’hélicoptère du SMUR arrive à Papeete mercredi matin, vers 5 h 35. « Elle a fait plusieurs arrêts cardiaques pendant le trajet. On m’a appelé vers 6 heures pour me dire que, malheureusement, elle était décédée… » témoigne l’infirmier, plongeant dans le désarroi le plus total la communauté entière de Ua Huka, à commencer par la famille de la défunte.
Le temps écoulé entre le déclenchement de l’évacuation sanitaire le mardi 5 juillet à 14 heures à Ua Huka et l’arrivée à 23 heures au quai de Taiohae est de 9 heures ; si bien que l’arrivée du SMUR à Papeete n’aura lieu que le lendemain, mercredi 6 juillet à 5 h 35 c’est-à-dire au bout de 15 heures. 15 heures qui auront été fatales pour la jeune femme.
Ce qui a pêché ce sont les délais d’intervention et de transferts inter-îles entre Ua-Huka et Nuku-Hiva ; beaucoup trop lents. L’improvisation constante dont les différents acteurs ont été contraints de faire preuve pour trouver un moyen de transport – en l’occurrence ce sera un bonitier de Nuku Hiva, impropre au transport de passagers et encore moins au transport de malades en état de choc -est difficilement acceptable.
Celle-ci n’a aucunement sa place dans un contexte d’urgence vitale car le pronostic du patient dépend entièrement d’une prise en charge optimale ; laquelle obéit à un protocole strict où l’exécution des actes prioritaires est réglée comme du papier à musique pour se dérouler sans anicroches.
Cette tragédie relance une nouvelle fois la problématique notoire et ancienne des Evasan aux Marquises (mais aussi dans les autres archipels éloignés des TuamotuGambier et des Australes).
Selon des données de la CPS, les transferts inter-îles « Marquises-Marquises » représentent : 2 000 évacuations sanitaires en 2012 pour un coût global de 28 476 790 XPF. À titre indicatif le nombre total d’évacuations sanitaires inter-îles au sein des différents archipels est de 6 108 pour un coût total de 105 812 307 XPF ;
1 646 évacuations sanitaires6 en 2013 pour un coût global de 23 102 161 XPF alors que le nombre total d’évacuations sanitaires inter-îles en Polynésie est de 9 866 pour un coût total de 87 036 767 XPF.
À partir de ces quelques chiffres, la moyenne annuelle des Evasans internes à l’archipel marquisien est de 1823, à plus ou moins 200 Evasans près, pour un coût annuel moyen de 25 789 475 XPF. Cela représente une moyenne journalière de 5 Evasans, à plus ou moins 1 Evasan près, pour un coût de 70 656 XPF. Soit un coûtmoyen par Evasan inter-îles aux Marquises de 14 000 XPF alors que le coût moyen d’une Evasan inter-îles à l’échelle de la Polynésie est plus élevé, de l’ordre de 24 000 XPF.
Les conditions d’Evasans de ces 1 823 Marquisiens et a fortiori des 9 261 habitants7 des Marquises ne méritent-elles pas plus de considération de la part des autorités du Pays ?
Cette tragédie est « une nouvelle preuve que le système actuel ne fonctionne pas de façon optimale » affirme la Fédération d’entraide polynésienne de sauvetage en mer (FEPSM) qui poursuit : « Transporter un blessé ou un malade dans un bonitier ou un Poti Marara n’est pas digne de la France et de la Polynésie française en 2016. »
Celle-ci n’a eu de cesse d’interpeller les autorités de l’État et du Pays depuis 2013, sans qu’aucune mesure concrète n’ait été prise pour prendre à bras le corps la problématique des Evasan mais aussi des opérations de sauvetage en mer aux Marquises.
Elle propose « un projet de Vedettes Sanitaires et d’Assistance Maritimes qui permettrait d’assurer des opération de Sauvetage en Mer et aussi des Evasan d’urgence ».
Dans le drame décrit plus haut, une vedette rapide aménagée et équipée aurait offert de meilleures conditions d’acheminement qu’un simple bonitier non sécurisé et inadapté au transport de personnes, à plus forte raison de patients en état de choc engageant leur pronostic vital.
Une telle vedette, basée à Ua Huka, armée par les bénévoles de la FEPSM, aurait appareillé en une demi-heure et écourté considérablement le délai d’évacuation sanitaire sur Taiohae à 2 h 30 au lieu de 9 heures.
Le coût d’une telle vedette est de 25 000 000 XPF pour une durée d’utilisation de 30 ans.
De même, des moyens héliportés basés aux Marquises auraient également réduit les délais d’évacuation à 1 heure entre Ua Huka et Taiohae.
La communauté de communes des Marquises est demandeuse du retour dans leur archipel d’un hélicoptère ; le dernier ayant quitté définitivement Nuku- Hiva à la fin des années 2000 pour des raisons mécaniques et financières.
Au problème invoqué de l’occupation insuffisante de l’hélicoptère à un tiers temps pour l’unique activité des évacuations sanitaires, les activités de secours en mer et de surveillance de notre ZEE autour des Marquises peuvent constituer des pistes d’utilisation complémentaire de ce moyen de transport héliporté.
À n’en pas douter, le recours à une vedette rapide ou à l’hélicoptère aurait indéniablement permis d’augmenter les chances de survie de cette patiente.
Ne pensez-vous pas qu’il soit grand temps d’y recourir en mutualisant ces moyens maritimes et aériens complémentaires ?
Par conséquent Monsieur le Président, mes questions vont porter sur les solutions concrètes que vous allez apporter à la population des Marquises :
1. Quand comptez-vous doter chaque île habitée de l’archipel de vedettes aménagées sachant que leur coût d’acquisition n’est pas excessif et qu’elles pourront servir aussi bien pour des évacuations sanitaires qu’en cas de perditions et de naufrages en mer ?
2. Pour quand une décision gouvernementale en faveur des transports héliportés pour désservir entièrement l’archipel marquisien, faciliter les transferts inter-îles, participer aux recherches en mer et surveiller notre ZEE ?
Et enfin ; 3. La problématique étant identique aux archipels des Tuamotu-Gambier et des Australes, que prévoyez-vous de faire pour leurs résidents ?
Si le gouvernement est en mesure d’accorder une aide de 250 000 000 XPF en soutien économique aux concessionnaires du secteur automobile, j’ose espérer qu’il en fera de même pour la sécurité de nos compatriotes de « la Terre des hommes » ainsi que celle des habitants des Tuamotu Gambier et des Australes.
Je vous remercie du soin que vous prendrez à me répondre.
Mme Éliane TEVAHITUA