INTERVENTION
Intervenante du groupe Tavini Huiraatira : Mme Éliane TEVAHITUA
Rapporteures : Mmes LUCAS et TEVAHITUA
Courrier 2218/2022/APF/SG/SAJCE/sv/ft du 7 12 2022
DOCUMENTS
DEUXIEME SÉANCE DE LA SESSION EXTRAORDINAIRE DU 9 MARS 2023
RAPPORT DE LA MISSION D’INFORMATION SUR LES ARCHIVES PUBLIQUES DE POLYNÉSIE FRANCAISE
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le Président, chers collègues,
« Un peuple qui oublie son passé se condamne à la revivre. » Winston Churchill
C’est par cette phrase de Winston Churchill que je souhaite débuter mon intervention afin d’attirer votre attention, si vous en doutiez encore, de l’importance de cette mission d’information que j’ai menée avec Madame Béatrice Lucas. Cette mission n’avait qu’une ambition : répondre aux demandes récurrentes des Polynésiens confrontés à de grandes difficultés pour accéder aux archives publiques de l’État ou du Pays. À causes de ces difficultés, « de nombreux Polynésiens capitulent et renoncent à faire valoir leurs droits » en matière foncière, généalogique et historique. Nous sommes arrivées aux conclusions suivantes :
Premièrement, bien que l’État soit compétent dans la gestion et la communicabilité au public, de ses archives en Polynésie, les auditions ont mis en exergue que les ressources humaines et budgétaires ne sont pas à la hauteur. Ainsi, au Greffe du tribunal de 1ère instance de Papeete le sous-effectif chronique entrave lourdement la conservation, la numérisation, la mise à jour et la délivrance des actes d’état civil et des décisions judiciaires dont ce service de l’État a pourtant la charge.
I-1 Concernant les registres de l’état civil, le constat est édifiant. Depuis 2010, plus aucun registre transmis au greffe par les communes n’est mis à jour. Pour la seule année 2021, 116 registres d’état civil ont été transmis et entassés pêle-mêle dans une pièce non conforme. Les mentions marginales sur les actes d’état civil ne sont plus apposées ; ce qui fait peser sur eux « une insécurité juridique patente ». De surcroit, le greffe du Tribunal ne délivre plus les actes d’état civil aux particuliers à l’opposé de ses missions de service public.
Nous les rapporteures, exhortons l’État à renforcer dans les meilleurs délais les effectifs du Greffe ; à recourir à une prestation externe afin de traiter les registres d’état civil en souffrance depuis 2010 ; à reprendre sa mission publique de délivrance des actes d’état civil aux usagers et à formaliser une convention de gestion avec le SPAA précisant les conditions de communicabilité des registres d’état civil de plus de 75 ans.
I-2 Concernant les décisions de justice du Tribunal de 1ère instance et de la cour d’Appel de Papeete, notamment celles à caractère foncier, les auditions ont révélé l’accès difficile de ces archives « quand elles ne sont pas perdues ou introuvables », avec un seul greffier archiviste en charge de l’ensemble de ces archives judiciaires. Les délais vont jusqu’à six mois d’attente pour obtenir copie de décisions anciennes, notamment celles des sections de Raiatea et Nuku-Hiva. À cela se surajoute le coût de 1000 FCFP en timbre fiscal par copie alors qu’elles sont délivrées gratuitement dans les tribunaux en France.
Nous demandons la même gratuité de délivrance des copies exécutoires des décisions de justice ; une meilleure information des usagers sur le site internet du tribunal de Papeete ; la commande des jugements par téléprocédure ou par courriel ; la centralisation des archives judiciaires des sections de Raiatea et Nuku-Hiva au tribunal de Papeete pour réduire les délais de transmission de ces copies aux résidents de Tahiti.
I-3 Concernant les Archives historiques de l’État conservées en Polynésie, les universitaires et les doctorants ont à l’unanimité déploré les nombreuses entraves pour accéder à ces archives en particulier le « fonds du Gouverneur » dont la simple consultation s’apparente à un véritable parcours du combattant.
Les rapporteures appellent les autorités de l’État à faciliter l’accessibilité de ces archives historiques ; établir une convention de gestion avec le Pays ; financer le tri, le classement et la numérisation du fonds Gouverneur avant leur transfert au SPAA pour en faciliter la consultation.
I-4 Concernant les archives coloniales détenues par l’État aux Archives Nationales d’outre-mer (ANOM) d’Aix-en-Provence, elles ont une importance historique majeure pour les Polynésiens. Le « fonds Océanie » n’est à ce jour ni trié, ni numérisé ni indexé malgré un premier inventaire partiel. Aucune convention Pays-État – ANOM de mise à disposition de ce fonds n’existe à ce jour.
Les rapporteures appellent l’État à formaliser une convention avec la Polynésie qui précisera les modalités de prise en charge financière par l’État des opérations de tri et de numérisation du « fonds Océanie » ainsi que les modalités et délais de transfert d’une copie de ce fonds à la Polynésie.
I-5 Concernant les archives communales de Polynésie, les auditions ont mis en lumière l’absence de cadre réglementaires dans le CGCT ; l’absence de formation des édiles municipaux et agents communaux ; un état de conservation préoccupant des registres d’état civil les plus anciens dont certains ont été égarés ou détruits et l’absence de convention État/Pays sur ces archives.
Pour pallier ces carences, l’État doit formaliser une convention avec le Pays pour organiser les archives communales ; numériser les actes d’état civil pour leur conservation et leur consultation en ligne ; centraliser l’ensemble des actes d’état civil auprès du greffe du Tribunal de Papeete ; organiser des formations et sensibiliser les édiles et agents municipaux à la question des archives.
Pour résumer cette première partie concernant les archives publiques détenues par l’État, celui-ci ne fait pas son travail.
Pour ce qui concerne la Polynésie, elle est compétente dans la gestion de ses archives propres.
II-1 Au niveau du Service du patrimoine archivistique et audiovisuel (SPAA) – Te piha faufa’a tupuna, le personnel est en sous- effectif chronique, peu qualifié et les ressources budgétaires sont insuffisantes pour permettre au SPAA d’accomplir pleinement ses missions. Il existe un manque patent d’experts archivistes polynésiens ; une absence de formations professionnelles et universitaires locales aux métiers de conservateur des archives ; une distension patente des liens de coopération et de partenariat entre le SPAA et les services de l’État ; un retard considérable du SPAA dans la numérisation et l’indexation des fonds d’archives existants ; des délais de consultation des fonds archivistiques trop courts sur des postes informatiques insuffisants et obsolètes ; la limitation de consultation à 30 minutes par poste ; des amplitudes horaires d’ouverture trop courtes et inadaptées aux besoin des usagers ; l’impossibilité à l’ère du tout numérique de consulter via internet les archives de l’état civil au motif que le procédure d’occultation des mentions de l’état civil serait chronophage et coûteuse.
Nous recommandons de formaliser une lettre de mission fixant les objectifs annuels du SPAA ; d’ériger le traitement, la numérisation et la mise à disposition de nos archives publiques et privées en véritable priorité ministérielle et culturelle ; de mobiliser les ressources budgétaires du Pays et de l’État aux fins de doter le SPAA des moyens nécessaires à l’accomplissement de ses missions ; d’améliorer les conditions de consultation et les plages horaires d’ouverture ; de travailler en partenariat avec le Service de l’informatique du Pays pour la mise en ligne des actes d’état civil dont les mentions marginales auront été préalablement occultées. Le SPAA doit procéder en priorité à la numérisation et l’indexation des journaux locaux ; formaliser avec l’Université de la Polynésie la mise en oeuvre d’une formation aux métiers archivistiques ; solliciter de l’État et du Pays, les mesures d’accompagnement des agents du SPAA, qui souhaiteraient bénéficier d’une formation de haut niveau à l’Institut national du patrimoine et à l’École nationale des Chartes.
II-2 Au niveau de la Direction des affaires foncières :
Concernant la recette-conservation des hypothèques (RCH), la mission a mis en lumière la lenteur des délais de délivrance des informations hypothécaires en raison du manque d’effectif (1 seul agent pour les demandes de comptes hypothécaires), la nécessité de croiser des informations provenant de 4 support différents pour connaitre l’ensemble des biens appartenant à un individu ; l’absence de « fichier réel immobilier » qui retrace l’ensemble des actes de propriété d’un bien foncier ; l’absence de partage des données issues des registres de l’état civil détenus par le greffe du tribunal et la DAF qui aurait pourtant permis la mise à jour du contenu de la base de données généalogiques TUPUNA.
Quant à la curatelle et succession aux biens vacants chargée de rechercher les héritiers et d’établir les filiations, elle ne dispose pas de moyens humains suffisants. Nous exhortons le Pays à mobiliser les ressources nécessaires à l’accomplissement de ses missions dans les meilleurs délais.
Au niveau de la division du Cadastre : Nous regrettons la disparition des plans de délimitations établis à la faveur d’anciens partages qui oblige les géomètres à solliciter des copies payantes auprès des notaires ; l’absence d’intégration des anciens plans de délimitation au sein de l’application OTIA ; les difficultés d’accès aux plans parcellaires théoriquement attachés aux PV de bornage ; l’impossibilité pour le grand public et les avocats d’accéder en ligne à ces PV de bornage et aux fiches parcellaires permettant de remonter l’historique des actes de propriété.
Pour ce qui concerne les archives de la Commission de conciliation obligatoire en matière foncière jadis présidée par feu M. CALINAUD et conservées par la DAF, ses dossiers doivent faire l’objet d’un tri, d’un classement, d’un archivage et d’une numérisation et les règles de consultation et de communicabilité portées à la connaissance des usagers.
En résumé de cette deuxième partie sur les archives publiques détenues par le Pays, elles ne sont pas la priorité du Pays. Néanmoins, nous constatons que le ministre de la culture a commencé à mettre en œuvre les préconisations concernant le SPAA. Cela, nous l’approuvons.
Troisièmement, pour ce qui concerne les archives détenues par les officiers publics ministériels,
Nous préconisons le versement des archives notariales au SPAA dans les délais impartis par la loi (Le délai de 75 ans au code du patrimoine métropolitain doit être transposé au code polynésien du patrimoine, au lieu de 100 ans) ; une convention de partenariat entre le Pays et la chambre des notaires formalisant la numérisation des archives notariales par les offices notariaux préalablement à leur transmission au SPAA. Idem pour les archives des huissiers de justice officiers publics ministériels. Pour les actes notariés conservés par les gendarmeries, nous proposons de vérifier l’état de conservation de ces documents et leurs délais de délivrance.
Quatrièmement, pour les archives détenues par les confessions religieuses en Polynésie et à l’étranger, nous exhortons le Pays à formaliser des conventions avec l’Église protestante Mā’ohi et l’Archidiocèse de Papeete aux fins de numérisation et mise à consultation de leurs registres paroissiaux les plus anciens ; • avec la Société Missionnaire et l’Université de Londres qui détiennent à ce jour l’intégralité des archives polynésiennes de la LMS depuis 1796. Et enfin, la mission exhorte • la DAF à parachever le traitement et la communicabilité des informations généalogiques et foncières transmises gracieusement par l’Église de Jésus-Christ des Saints des derniers jours depuis déjà cinq ans.
Sous réserve pour les services de l’État et du Pays, les communes et des officiers publics ministériels de réaliser toutes ces recommandations, nous sommes assurées que le service public répondra aux attentes des usagers Polynésiens.
Je vous remercie de votre attention. Mauruuru i te faarooraa mai !
Mme Eliane TEVAHITUA Représentante inscrite au groupe Tavini Huiraàtira