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INTERVENTION
- Question orale du Groupe Tavini Huiraatira
- à M. le Président de la Polynésie
- 9e Séance plénière de la session administrative du 6 juillet 2017
- Objet : Doter nos rivières et notre océan d’une personnalité légale
Ia ora na,
Lors de sa séance plénière du 15 mars 2017, le parlement de Aotearoa en Nouvelle-Zélande vient de reconnaître à la Whanganui River la qualité d’entité vivante unique dotée d’un statut de personnalité juridique.
Selon la nouvelle législation, ce fleuve partant des montagnes jusqu’à la mer, y compris ses affluents et l’ensemble de ses-éléments physiques et métaphysiques, aura sa propre identité juridique avec tous les droits et les devoirs attenants.
Doter une rivière d’une personnalité juridique est une première mondiale en matière de droit de la nature car aucun cours d’eau au monde ne possédait jusqu’alors un tel statut.
Après 150 ans de litige, la tribu Whanganui devient la gardienne de Te Awa Tupua, le chemin des ancêtres, le toponyme maori de la Whanganui river.
À ce titre, elle sera désormais chargée de la protéger de toute forme de pollution et de déprédation, au profit exclusif des générations actuelles et futures.
Outre la compensation financière des frais de justice engagés par la tribu, celle-ci bénéficiera d’une enveloppe financière de 30 millions de dollars néo-zélandais pour améliorer l’état du cours d’eau. Désormais, les intérêts de ce fleuve seront défendus par deux avocats, l’un représentant la tribu et l’autre le gouvernement.
Ce nouveau statut juridique permettra d’intenter directement des actions en justice contre des pollueurs, sans avoir à prouver de dommage particulier à la santé ou à l’intégrité physique d’une personne impactée par cette pollution.
En Inde, berceau de l’hindouisme civilisateur, deux fleuves, le Gange et la Yamuna viennent à leur tour d’acquérir un nouveau statut juridique les classant en entités vivantes ayant le statut de personne morale.
Sortant, d’une vision purement anthropocentrique, ces législations avant-gardistes qui ouvrent droit à la nature, présument que l’être humain n’est plus le seul à disposer de droits juridiques.
Aussi étrange que cette reconnaissance de droits en faveur d’un fleuve puisse paraître à des esprits occidentaux, cela est tout à fait normal pour les maoris, pour qui la terre et ses éléments naturels sont personnifiés.
Comme le dit un vieil adage maori « Je suis la rivière et la rivière est moi ».
Nous partageons cette même perception de l’environnement que nos cousins maoris. Si dans la conception occidentale, il est coutume de dire que l’on ne se baigne jamais deux fois dans la même rivière, a contrario, dans notre culture ancestrale, le terme vai qui désigne la rivière et l’eau signifie également exister, demeurer.
L’eau, au caractère éminemment labile et instable dans la culture occidentale, est garante, dans la nôtre, de la permanence et de la perpétuation des êtres vivants au fil des générations.
Le destin des Polynésiens est intimement lié à son environnement, ses rivières et à son océan Te Moana Nui A Hiva.
Monsieur le ministre, dans le DOB 2017, vous défendez une nouvelle stratégie culturelle qui reconnaît l’existence d’un véritable personnalité culturelle polynésienne.
A l’instar des évolutions juridiques conférant le statut de personne morale à la Whanganui river en NouvelleZélande à Aotearoa, mes questions sont les suivantes.
Pouvez-vous faire le point des opérations déjà effectuées et à venir pour la réhabilitation de nos cours d’eau ? Et quelles sont les actions futures que vous comptez mener pour leur reconnaissance culturelle ?
Envisagez-vous de faire évoluer la législation locale sur la protection des rivières, en dotant celles-ci d’une personnalité juridique forte, de manière à permettre aux Polynésiens vivant sur leurs berges ainsi qu’aux communes dont elles dépendent et au pays, de saisir un avocat dédié afin d’exercer des recours devant les tribunaux en cas d’atteinte environnementale qui leur serait portée ?
Par extension et pour des préjudices similaires, dans les limites de notre ZEE, ne croyez-vous pas primordial de conférer également une personnalité juridique à Te Moana Nui A Hiva notre océan de façon à permettre à tout Polynésien, aux communes et au pays, via un membre du barreau désigné, d’ester en justice pour défendre ses intérêts ?
Je vous remercie d’avance des réponses que vous ne manquerez pas d e m’apporter.
Mme Eliane TEVAHITUA
Réponse du gouvernement
Madame la représentante.
Suite à l’adoption, en Nouvelle-Zélande, d’une loi accordant la personnalité juridique à la rivière Whanganui et à la reconnaissance en tant qu’entité vivante de deux fleuves sacrés, en Inde, le Gange et le Yamuna, vous m’interpellez sur les opérations primo, déjà effectuées et à venir pour la réhabilitation des cours d’eau.
Deuxio, l’évolution réglementaire envisagée en matière de protection de nos rivières – notamment sur l’opportunité d’attribuer une personnalité juridique à ces dernières.
Et tercio, l’opportunité de conférer une personnalité juridique à notre grand Océan.
Sur le premier point, sur la réhabilitation des cours d’eau, un plan d’action gouvernementale sur les rivières a été adopté, en conseil des ministres en mars 2016.
Pour la partie environnementale, les principales opérations réalisées sont les suivantes. La réalisation du diagnostic environnemental des rivières. Sur 39 rivières de Tahiti et Moorea dans la période 2015-2016, l’étude portait sur un diagnostic environnemental simplifié.
La proposition d’un plan d’action permettant d’atteindre le bon état écologique des rivières et la mise en œuvre d’un programme de communication.
Le diagnostic environnemental a permis d’évaluer l’état de santé de ces 39 rivières, de localiser les principales sources de dégradation et de définir trois catégories : les rivières à préserver, les rivières à protéger et les rivières à réhabiliter.
Suite à ce diagnostic général, à l’analyse des sources de dégradation et de leurs impacts sur le milieu, des propositions d’action ont été définies pour résorber ou limiter les effets négatifs des pratiques actuelles sur la biodiversité des rivières.
En fonction de l’état de santé de chaque tronçon, les proposition de gestion de l’aménagement ont fait appel à des mesures de préservation et de limitation des dysfonctionnements futurs et de restauration.
Ces travaux contribueront à la sécurisation des biens et personnes par des aménagements de berges et opérations de recalibrage intégrant un objectif de préservation du bon état écologique du cours d’eau. La période 2017-2018 verra la possibilité du diagnostic de ces rivières.
Le diagnostic de l’état de santé des cours d’eau sera complété par une étude complémentaire sur 40 cours d’eau.
Les études devraient démarrer au début du second semestre 2017.
Nous avons ensuite la réalisation de travaux sur la rivière Papeava. À la suite du diagnostic, la rivière Papeava a été identifiée comme prioritaire du fait d’un état de dégradation avancée et de la densité de population importante – comme dans le quartier de la Mission.
Malgré ces pressions, la faune et la flore continuent de s’y développer. Le diagnostic a peimis d’identifier trois tronçons d’état de santé de cette rivière.
Le premier tronçon, situé au-delà des zones habitées, qui conserve un bon état naturel.
Le second tronçon, situé entre la dernière zone habitée et l’école Fariimata ; ce tronçon est assez dégradé, en particulier, par les déchets et les rejets que l’on peut observer sur tout ce linéaire.
Le troisième tronçon, allant de l’école Fariimata jusqu’à l’embouchure, est un tronçon très fortement dégradé avec une rivière quasiment entièrement canalisée et couverte sur un linéaire assez important.
Le second tronçon a fait l’objet d’études complémentaires qui ont abouti à l’élaboration d’un projet. La zone située près lotissement OPH Te Papa III et de la salle polyvalente du quartier a été conjointement choisie pour la mise en place d’aménagements spécifiques destinés à créer un espace accueillant pour que la population se réapproprie sa rivière et ne la considère plus comme un dépotoir collectif.
Le projet représentait un budget de 14 millions cofinancé par l’État à hauteur de 50 %.
Ensuite, il y a un schéma directeur élaboré sur la rivière Fautaua.
C’est pour la période 2017. Il est prévu pour ce schéma directeur de la rivière Fautaua, un premier recueil de données nécessaire à la future consultation pour l’élaboration du schéma directeur qui est en cours depuis le début de cette année.
Les travaux d’élaboration du schéma directeur auront lieu dans le courant de l’année 2017. D’autres schémas directeurs seront lancés sur trois autres grandes rivières comme la Punarau, Papenoo et Taharuu. Nous avons également l’aménagement de la rivière Aoma à Tuahotu pour la période 2017-2018.
Cette opération pilote de valorisation a déjà été entreprise. Les objectifs de cette opération pilote sont de contribuer à l’amélioration de la qualité des eaux et de l’environnement de la rivière et d’accompagner la commune dans la valorisation et l’aménagement de ce site.
Il s’agit de tester et de proposer divers types d’aménagements adaptés aux problématiques environnementales de ces différents milieux.
Plusieurs phases sont prévues pour la réalisation de ce projet.
Une phase préparatoire avec l’état des lieux du patrimoine culturel, naturel et historique.
Deuxième phase avec la proposition de tracé et de mise en valeur du patrimoine.
Troisième phase : une proposition de formation et de sensibilisation.
Quatrième phase : une étude préalable à l’aménagement du site.
Phase 5 : des actions d’amélioration de la qualité environnementale et paysagère et enfin des actions d’aménagement. Ce projet est actuellement à la phase 1.
Sur la personnalité juridique des rivières et de notre grand Océan.
La personnification d’éléments, a priori inanimés de la nature, participe d’une vision du monde portée par plusieurs civilisations dites animistes.
Ces dernières années, certains pays ont décidé d’intégrer cette conception dans leur législation, notamment, la Nouvelle-Zélande, l’Inde, l’Equateur et la Bolivie.
Pour l’heure, l’intégration de concepts relevant d’une telle vision du monde dans le droit positif local pour renforcer la protection du patrimoine naturel polynésien – qu’il s’agisse des rivières ou de l’océan – est une démarche que nous n’avons pas encore envisagée.
En amont d’un tel projet, une réflexion serait nécessaire avec tous les acteurs intéressés – les communautés locales, les associations de défense de la nature — sur les modalités de représentation des intérêts de ces rivières et espaces maritimes, si des droits individuels leur étaient conférés.
Par ailleurs, que la nature polynésienne soit considérée comme objet ou personne, il est indispensable que le cadre réglementaire soit réellement protecteur mais également adapté à nos spécificités.
Je rappelle qu’il existe un régime protecteur des rivières et de notre patrimoine naturel.
Il convient, peut-être, de le renforcer et d’améliorer les contrôles ; mais il a le mérite d’exister et toute personne qui a un intérêt à agir peut s’en prévaloir.
Il repose sur différents textes, notamment, la délibération du 7 février 1958 sur le régime des eaux et forêts qui prévoit que les cours d’eau font partie du domaine public et interdit la pollution en amont des captages d’eau, interdit de faire aucun dépôt dans le lit d’un cours d’eau, de le dévier, de le barrer, d’en modifier le débit ou le lit ou d’en altérer la composition sans autorisation administrative.
Ce texte fixe aussi les modalités d’entretien des cours d’eau ; ce qui est à la charge du pays et ce qui est à la charge du propriétaire riverain.
Le code de l’environnement de la Polynésie française – l’article LP 136 du code – sanctionne sévèrement le fait de polluer les eaux superficielles ou souterraines et les eaux dites territoriales en y déversant des substance nuisibles à la santé, à la faune ou à la flore. En outre, un projet de révision du code de l’environnement a été présenté récemment au CESC et sera soumis prochainement à la présente assemblée.
Il vient renforcer la protection de notre patrimoine naturel par l’introduction de dispositions très importantes, notamment la responsabilité sans faute du pollueur, basée sur le principe du pollueur-payeur permettant, ainsi, de rechercher la responsabilité d’un payeur, même en l’absence de faute.
Cette présomption de responsabilité est établie dès lors qu’un dommage est constaté et qu’il peut être relié à une ou des exploitations.
Le préjudice écologique qui prévoit que toute personne est responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer ; que l’action en réparation est ouverte à toute personne ayant qualité et intérêt à agir et que la réparation du préjudice s’effectue par priorité en nature ou, à défaut, par le versement de dommages et intérêts affectés à la réparation de l’environnement, versés au demandeur.
Je voudrais rappeler enfin que les associations de protection de la nature peuvent d’ores et déjà ester en justice démontrant leur intérêt à agir par la simple production de leur statut.
Je vous remercie de votre attention.
M . Luc Faatau