INTERVENTION
- Question orale du Groupe Tavini Huiraatira
- à Madame la Ministre de la famille et des solidarités
- 5e Séance plénière de la session administrative du 19 juillet 2018
- Objet : Politique publique du gouvernement vis-à-vis de la situation des SDF
Madame la ministre,
Récemment, un magazine local, prisé des férus de maisons de grand luxe et de décoration, faisait état d’une flambée des prix de l’immobilier dans la zone urbaine et périurbaine, allant jusqu’à expliquer, -chiffres à l’appui-, et je cite ledit magazine qu’« à l’heure actuelle aucune maison correcte ne se vendrait à moins de 60 000 000 de F CFP », à tel point, nous explique le même magazine, que « la rapidité des transactions serait fulgurante », ces produits de luxe mis sur le marché étant vendus en moins de huit jours.
Il suffit d’ailleurs de se rendre dans ces lotissements résidentiels situés sur les hauteurs, souvent nichés à flanc de coteaux, pour se rendre compte qu’une infime partie de privilégiés dans notre pays ne connaît pas la crise et ne rencontre aucune difficulté à se loger dans des conditions de confort et d’opulence frisant même parfois l’indécence.
Dans le même temps, un nombre grandissant de nos concitoyens polynésiens sont, quant à eux, relégués dans nos rues, dans nos parkings publics ou ceux de nos centres commerciaux, sous nos ponts, sur nos plages, dans nos dépotoirs.
Nous sommes tous, chaque jour, les témoins oculaires distants, des situations d’errance d’une partie de notre population.
Comme chacun de nous, vous avez sans doute aperçu les baraques de fortune installées à proximité de la piscine municipale de Papeete.
Vous avez sans doute été sollicité d’une pièce ou de deux, en échange d’un sachet de fruits par un sans domicile fixe.
Enfin, vous avez peut-être aperçu des pauvres hères ayant trouvé un abri de fortune sous le pont situé à proximité immédiate du cimetière de l’Uranie, en contrebas de la nouvelle résidence Stencer, ou sur les trottoirs du marché de la ville de Papeete.
Madame la ministre, ce constat doit nous interpeller collectivement, membres de la majorité et du gouvernement comme de l’opposition, à laquelle certains d’entre nous appartiennent.
Ce constat, celui qui vient d’être dressé, c’est le constat douloureux d’un échec collectif, de notre incapacité à favoriser les conditions propices à la création de liens de solidarité entre les membres de notre communauté, à permettre une distribution équitable des richesses entre les habitants de notre pays.
Madame la ministre, ma question est la suivante :
Quelle politique publique comptez-vous mettre en œuvre dans les plus brefs délais pour permettre à ces êtres abimés par la vie, qui sont avant tout des enfants de notre pays, de retrouver leur dignité ?
Je sais que votre tâche est ardue mais, vous qui êtes en responsabilité, vous avez le devoir d’y répondre.
Je vous remercie.
Mme Éliane TEVAHITUA
Madame la représentante, bonjour.
Je vous remercie pour la question orale que vous posez au gouvernement afin de connaître la politique publique visant à favoriser les conditions à la création de liens de solidarité entre les membres de notre communauté et à permettre une distribution équitable des richesses entre les habitants de notre pays.
Vous évoquez particulièrement dans votre question orale la situation d’errance de personnes sans domicile fixe mais également de certains réduits à la mendicité ou qui vivent dans des conditions d’extrême dénuement.
Nous partageons votre ressentiment et votre impatience face à ces situations de souffrance, qui se sont installées dans notre pays depuis déjà un certain nombre d’années.
En propos liminaire, je souhaiterais faire un point sur l’embellie économique que vit notre pays depuis plus de 18 mois, gage de conditions propices à la création d’emplois.
En septembre 2017, l’emploi salarié était en hausse de 2,8 % et les offres d’emploi enregistraient une augmentation de +23 %.
Si ces chiffres sont meilleurs, ils restent bien entendu insuffisants pour enrayer la pauvreté.
Au 31 décembre 2017, selon les chiffres du SEFI, il y avait 12 761 demandeurs d’emploi, public majoritairement situé entre 25 et 40 ans. Sur ce nombre, 42 % avait moins d’un an d’expérience professionnelle ou n’en avait pas du tout ; 59 % avait un niveau de diplôme inférieur au BAC.
Au regard de cette situation, le gouvernement a défini une politique ciblée. Il finance la formation professionnelle, à savoir la formation en alternance et les parcours personnalisés. Le fonds pour l’emploi et la lutte contre la pauvreté (le FELP) prend en charge l’insertion professionnelle par des stages ainsi que les contrats aidés via les CAE pour favoriser l’embauche en CDI des plus démunis.
À présent, je souhaite vous répondre sur les actions qui concernent mon ministère.
Le premier axe du programme politique de mon gouvernement est celui d’une « Polynésie plus solidaire et équitable ».
Cet axe stratégique porte essentiellement sur le déploiement d’un plan d’urgence sociale.
Il s’agit, en effet, d’adresser de façon urgente les problèmes les plus pressants en vue de ne pas laisser des situations de fragilité extrême ou d’injustice sans réponse ni prise en charge à court et à moyen terme.
Quatre objectifs ont donc été identifiés :
lutter contre la marginalisation sociale, agir pour la jeunesse en difficulté, accompagner les acteurs sociaux, aider les plus fragiles. Pour ce qui concerne les personnes en situation d’errance, en 2015, le Collectif Te ta’i vevo recensait plus de 450 personnes sans domicile fixe. Les chiffres de 2017 font état d’environ 750 personnes SDF dans la grande agglomération, entre Mahina et Punaauia, dont environ 120 concentrés à Papeete selon les statistiques de 1TSPF. Ce public est particulier. Une partie est composée, malheureusement, de personnes victimes de pathologies psychiatriques.
À ce sujet, je sais que mon collègue le Ministre de la santé s’attelle à trouver des solutions de santé publique en mettant en place des structures médicales d’accueil, en nombre suffisant.
Pour l’autre partie de ces personnes, elles se retrouvent à la rue suite à des accidents de la vie comme la perte d’un emploi, les difficultés intrafamiliales, avec les problématiques lourdes de la promiscuité, par exemple.
Elles ont besoin d’un accompagnement social et psychologique. Nous avons des actions à mener, dans les meilleurs délais, pour ce public qui a envie de s’en sortir. Permettez-moi, pour décrire les orientations stratégiques et les actions menées par le gouvernement, de procéder par étape. Il y a, malheureusement, la première étape qui est celle d’une personne qui se retrouve du jour au lendemain sans toit.
La prise en charge et l’accompagnement de cette personne constitue la deuxième étape.
La satisfaction de ses besoins fondamentaux représente la troisième étape, celle de la réinsertion par l’activité et l’accès à un logement décent.
Que fait le gouvernement pour ces personnes qui se retrouvent du jour au lendemain à la rue ?
Malgré l’existence du Centre d’hébergement d’urgence de Tipaerui, nous manquons d’un vrai foyer d’urgence.
En effet, sur les 50 places disponibles de ce centre, cinq sont gardées vacantes pour l’accueil de personnes en détresse.
Les autres foyers d’accueil comme le Bon Samaritain ont également, chaque jour, très peu de disponibilité. Pourtant les demandes d’hébergement sont là, bien supérieures aux capacités d’accueil.
Je prends quelques instants pour rendre hommage à l’engagement et au dévouement de toutes les confessions religieuses ainsi que des associations caritatives comme l’Ordre de Malte, le Secours Catholique, la Croix-Rouge et bien d’autres personnalités courageuses et investies.
Je remercie ces hommes, ces femmes et ces organisations qui jouent un rôle de soupape depuis plusieurs années.
Je formule le vœu qu’un foyer d’urgence soit, dès que possible, ouvert pour l’accueil des SDF.
Il n’y aurait pas de résident dans ce foyer d’urgence, il servirait à donner un lieu abrité, la possibilité de prendre un bain, un repas chaud et un lit pour la nuit.
Ce serait le premier lien d’une personne sans repère ou qui aurait tout perdu.
J’ai pensé au Centre de jour de Te Vai-ete qui pourrait être rénové avec le concours d’associations d’insertion, du CFPA ou du RSMA.
Là, j’aimerais faire un petit clin d’oeil à notre maire de Papeete que je sais généreux et concerné par les questions de précarité.
Pour en avoir déjà discuté avec lui, je sais que les besoins de la ville portent sur d’autres priorités, celles notamment liées à la résorption du quartier vétusté de Vaininiore.
Mais je suis certaine qu’ensemble, nous trouverons d’autres possibilités pour les SDF.
D’ailleurs, je m’emploierai à rencontrer les maires des communes de l’agglomération afin d’évoquer avec eux des solutions. Après discussion avec le ministre de l’équipement, il y a de cela déjà 15 jours à trois semaines, nous avons prévu d’aller sur Hitiaa et Vairao pour voir deux parcelles dont le Pays est propriétaire.
J’y vois là, l’espoir que des SDF puissent choisir de vivre dans un environnement paisible, propre à la connexion avec le ciel, avec la terre, la nature et la mer. Et s’il y avait possibilité de construction d’hébergements, ils pourraient en être les premiers employés bâtisseurs.
Œuvrer pour la croissance humaine est la priorité de la ministre que je suis.
Chers représentants, vous n’ignorez pas mon engagement personnel à participer activement au développement de la personne depuis pratiquement 20 ans.
Je suis convaincue qu’une personne qui sait qui elle est, qui travaille sa relation à elle-même, à l’Autre sera, grâce à cet ancrage, plus équilibrée et épanouie.
Je nous invite donc tous, ici présents, à devenir des bâtisseurs de ponts pour la Paix, pour l’Amour et pour l’Amitié.
Quelles sont les actions en faveur d’un accompagnement durable de la personne en situation d’errance ?
Afin d’enrayer ces situations, il est donc important de garder le lien avec ces personnes et de construire avec elles, leur projet de vie de demain. Ainsi, le Centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) constitue l’étape suivante.
Nous travaillerons en partenariat avec les services du Pays, le réseau associatif et le soutien de l’État à la réalisation de ce centre. Cette construction, dont le coût est estimé à 440 millions, sera financée à 50 % par l’État au travers du Contrat de projets.
Les études sont en cours et les travaux devraient démarrer en avril 2019. Envisagé à la Mission, sur le site de Raimanutea, ce Centre devrait accueillir et héberger 70 personnes sans domicile fixe.
Il a pour objet l’insertion sociale et professionnelle des personnes en difficulté, le réapprentissage du respect de soi et le réapprentissage des repères et codes sociaux. Notre volonté est de remobiliser ces personnes autour d’une démarche familiale —pour les familles—, administrative, professionnelle et médicale. Avec le SEFI, l’association Te Torea et la Fondation Agir contre l’exclusion (FACE), une action d’accompagnement vers l’emploi est envisagée.
Deux volets sont identifiés. Une première série d’actions concerne les personnes insérables de suite et la deuxième série d’actions porte sur l’accompagnement à l’élaboration d’un CV ou la préparation d’un entretien d’embauché, jusqu’à identifier des formations pour doter nos personnes fragiles de savoir-faire techniques mais également de savoir-être.
Je veux vous citer l’exemple de la Garonne Aluminium. Le patron de cette société a accepté d’embaucher des gens sans qualification car, en effet, sur le territoire il n’existe pas de formation liée au travail de l’aluminium.
L’année dernière, il a pris avec lui trois SDF en CAE. Aujourd’hui, il a décidé de recruter une de ces personnes. Si son carnet de commandes le lui permet, il n’hésitera pas à embaucher les deux autres personnes.
Ce sont des situations comme celles-ci que nous souhaitons favoriser et accompagner. La réalisation du CHRS permettra de lancer des actions novatrices. Je pense, par exemple, à la « Casse solidarité », projet qui associerait le Syndicat mixte Fenua M a et la société Avis et Pacific car.
Des SDF seraient employés à désosser des carcasses de voiture pour la récupération de pièces d’occasion.
Des mécanos apprendraient à nos SDF à cibler ces pièces récupérables. Dans le quartier de Hotuarea à Faaa, une action de fa’a’apu (NDT, Champ) bio d’insertion sera prochainement lancée avec 12 services civiques composés de six jeunes, deux SDF, deux personnes porteuses de handicap et deux anciens détenus — n’est-ce pas Monsieur le maire de Faaa ?
Ces volontaires iraient vendre des paniers de légumes. Le projet a été conçu sur la possibilité de produire 100 paniers de légumes par mois à 5 000 F CFP.
Ainsi, dans un an, ces volontaires pourraient être rémunérés par les revenus générés par le projet. Une autre action devrait voir le jour en 2019. Il s’agit d’un projet de location de paddles qui serait sur le site de Paofai avec des SDF.
L’Agence française de développement et l’association d’insertion Te U i Rau, bien connue pour son engagement, sont associées au montage du projet.
Enfin, comment pérenniser l’insertion de ces personnes fragiles ?
Il est essentiel, lorsque ces personnes refont un projet de vie et trouvent une activité professionnelle, de les accompagner sur la question du logement.
Nous ne souhaitons pas les retrouver dans la rue quelques mois plus tard. Nous devons donc nous assurer que ces personnes aient un toit à loyer modéré.
Le foyer des jeunes travailleurs est une solution envisagée en vue de créer des conditions d’hébergement adaptées au parcours d’insertion et de préparer l’accès au logement de droit commun déjeunes en situation financière précaire.
En effet, ces jeunes actifs, âgés de 16 à 25 ans, seraient en mesure d’occuper un logement de façon temporaire pendant une formation, un stage, un premier contrat de travail (CDD ou CDI), un apprentissage.
La période d’occupation d’un logement peut varier de quelques semaines à deux ans maximum. Le gouvernement recherche du foncier ou un bâtiment pour 40 logements sur le grand Papeete. Le site de la Cité Grand est une option avancée.
La construction foyer déjeunes travailleurs est estimée à 280 millions et devrait démarrer en janvier 2019 pour une ouverture en septembre 2019. Pour les adultes, l’Agence immobilière sociale de Polynésie française (AISPF), association reconnue d’intérêt général, permet de trouver une habitation ou un appartement pour les faibles revenus. Cet organisme trouve des solutions et a prouvé son efficacité.
En matière de logement, le ministère du logement et de l’aménagement du territoire travaille à l’extension de l’aide au logement étudiant au parc privé ainsi qu’à favoriser l’accès au logement des ménages et des personnes seules les plus modestes. Ce sont des personnes fragiles qui pourraient être victimes d’accidents de la vie.
Selon les résultats de l’enquête Budget des familles de l’Institut des statistiques de Polynésie française, 20 % de la population vit sous le seuil de pauvreté relative, soit avec moins de 160 000 F CFP par mois et par ménage.
Il faut donc s’occuper d’eux avant qu’ils ne se retrouvent à la rue.
Sur la base d’une étude menée en 2015, qui a recensé près de 10 000 logements d’habitat précaire sur la seule agglomération de Papeete (Mahina, Pirae, Papeete, Faaa et Punaauia), le Pays et l’État, en lien étroit avec les maires, travaillent à la mise en place d’une convention partenariale d’appui de l’Agence nationale de l’habitat.
L’aide à l’amélioration de l’habitat individuel s’inscrit dans cette perspective et vise à trouver des solutions d’habitat durable pour les familles les plus exposées au mal-logement.
Il s’agira de mettre en œuvre des actions depuis le signalement des situations délicates jusqu’à la prise en charge des occupants et l’accompagnement du propriétaire dans la mise en œuvre des travaux de mise en conformité.
Enfin, l’accès à l’aide familiale au logement (AFL) sera élargi, comme vous le savez, au parc privé.
En conséquence, dans ce contexte, l’élargissement de l’AF L permettrait l’accès à un logement digne en Polynésie française aux familles et aux personnes seules, sous condition de ressources.
Ce ministère souhaite, par ailleurs, optimiser les conditions d’accessibilité des logements privés aux personnes âgées et aux personnes souffrant d’un handicap. Madame la représentante, vous aurez noté que cette problématique implique tous les membres du gouvernement.
Le travail interministériel, avec mes collègues, a déjà commencé ainsi que le partenariat avec les communes.
Pour réussir, nous devons compter sur la contribution de tous : l’État, les organismes bancaires et les associations.
Je dirai même que l’implication de la personne sans domicile fixe est indispensable.
Madame la représentante, j’espère avoir répondu à votre question, et je vous remercie tous de votre attention.