INTERVENTION
Intervenante du groupe Tavini Huiraatira : Mme Éliane TEVAHITUA
Rapport n° 165-2021 du 02/112021
Lettre n° 8388/PR du 21/10/2021
Temps de parole : 10 mn
Consigne de vote : favorable
DOCUMENTS
SEPTIEME SÉANCE DE LA SESSION BUDGETAIRE DU 7 DECEMBRE 2021
Rapport sur le projet de loi du pays visant à promouvoir l’effort de solidarité par le don des invendus
Seul le prononcé fait foi
Chers collègues,
Ce projet de texte prévoit de rendre obligatoire le don des produits de première nécessité invendus dont la date limite d’utilisation optimale est sur le point d’être atteinte ou dépassée mais qui restent consommables ou utilisables. Cette obligation s’appliquera aux opérateurs agroalimentaires dont le chiffre d’affaire annuel est supérieur à 200 millions F CFP sous peine de ne plus bénéficier d’aides économiques et de mesures fiscales à l’investissement. Les dons seront destinés aux structures solidaires reconnues d’utilité publique lesquelles délivreront aux familles identifiées par la direction des solidarités, de la famille et de l’égalité (DFSE) des kits alimentaires, des produits de puériculture, d’hygiène et de santé, des vêtements et articles scolaires.
L’objectif assigné à ce dispositif social est de « répondre à l’urgence sociale alimentaire » car de plus en plus de familles polynésiennes vivent en état de précarité et s’enlisent dans la grande pauvreté. Ce dénuement n’a fait que s’aggraver depuis 2015 où l’enquête sur les dépenses des ménages des îles du Vent réalisée par l’Institut de la statistique révélait que 55 % de la population vivait en-dessous du seuil de pauvreté.
Or, malgré les annonces du gouvernement pour tenter d’inverser cette situation préoccupante, malgré les nombreuses incitations fiscales pour créer des emplois, malgré la croissance économique de 1,8 % depuis 2013 dont se targue l’Institut d’Emission d’Outre-Mer en se basant sur la reprise de la consommation des ménages et de l’investissement privé et la stabilité de la commande publique, l’emploi ne redécolle pas, le spectre du chômage est plus que jamais présent, le profil des jeunes est inadapté aux besoins du marché de l’emploi. Par conséquent, aujourd’hui, ce sont bien plus de 55 % de la population qui vivent sous le seuil de pauvreté et grossissent le nombre de ressortissants du régime de solidarité qui atteint désormais le chiffre de 100 000 selon les informations fournies en commission de la santé du 9 novembre dernier.
Pour ceux qui auraient encore des doutes sur la paupérisation des Polynésiens, il suffit de regarder l’évolution du nombre de bénéficiaires de bons de produits de première nécessité délivrés par les services sociaux du Pays depuis 2017. Ce nombre n’a cessé d’augmenter : 30 000 en 2017, 38 00 en 2018 et 2019, 56 000 en 2020 et peut-être près de 100 000 bénéficiaires de bons alimentaires à la fin de l’année 2021. Ces aides de première nécessité ont coûté au Pays 368 millions en 2017, 840 millions en 2020 et consommé les 2/3 du budget du Fond d’action sociale (FAS) du régime de solidarité. À ce jour, « le montant dédié aux aides publiques de première nécessité représente près d’1 milliard de F CFP par an et s’inscrit en augmentation constante depuis les 4 dernières années ».
Par conséquent, les services sociaux du Pays sont dépassés et ne sont plus en mesure de répondre immédiatement aux urgences sociales des familles en détresse. Mais encore, la DFSE n’est pas la seule à intervenir dans ce domaine. Les associations et les confessions religieuses grâce au bénévolat de leurs membres distribuent des produits de première nécessité aux familles en difficultés. Heureusement qu’elles sont là pour pallier aux manques de l’action publique. Pour exemple au niveau associatif, je citerai la Croix Rouge avec ses 6 épiceries solidaires dans la zone urbaine et à Moorea, Te Torea et Te Vaiete de Père Christophe qui donnent des repas aux personnes sans abri ; et enfin l’Ordre de Malte.
Tout cela met en lumière l’échec des politiques publiques en matière de solidarité menées jusqu’ici en faveur des Polynésiens les plus vulnérables.
Pour en revenir à ce projet de loi du pays, estimant le don des produits invendus aux associations « limité à certaines catégories de produits et d’opérateurs », vous en appelez Madame la ministre à la générosité des opérateurs agroalimentaires afin que tous les produits invendus et propres à la consommation humaine soient distribués aux associations de bienfaisance au lieu d’être donnés aux éleveurs de porcs.
Si l’intention est bonne, de nombreuses interrogations subsistent car « les associations bénéficiaires de dons estiment qu’une telle réglementation ne réglera pas les difficultés d’accès à des paniers alimentaires équilibrés ou tout simplement à des produits de première nécessité par les populations nécessiteuses » et la plupart des produits actuellement donnés ne sont pas bons pour la santé. Il s’agit de « chips, boissons sucrées, biscuits » distribuées à des populations déjà affectées par le diabète, l’obésité, l’hypertension artérielle1. À ce propos, comptez-vous Madame la ministre, exiger un tri de ces produits en amont pour éviter d’aggraver les problématiques sanitaires occasionnées par ces maladies de civilisation ?
Ensuite, quid des produits frais ? Comment prévoyez-vous la récupération et le stockage des produits surtout frais arrivés à leur date limite de consommation alors que les associations ne sont « pas en capacité immédiate de récupérer et stocker les produits frais sauf à les distribuer rapidement » ? Envisagez-vous la création d’une banque alimentaire en mesure de « récupérer, stocker et redistribuer dans des conditions d’hygiène tous les produits alimentaires invendus et encourager les associations à se fédérer dans ce seul but » ?
Quid des produits alimentaires destinés aux animaux ? Pourquoi ne pas avoir introduire dans ce projet de texte, les dons aux associations assurant la protection ou la prise en charge des animaux errants ou abandonnés dans notre Pays comme le préconise le CESEC ?
Et enfin, pourquoi fixer un seuil de 200 millions de chiffre d’affaires qui exclut d’emblée la moitié des commerces de l’obligation de don ? De même, pourquoi écarter les entreprises hôtelières et les croisiéristes, les compagnies aériennes à l’obligation de dons de leurs produits invendus ou non consommés alors qu’elles bénéficient toutes de mesures de défiscalisation ?
Pour conclure, si la démarche de réduire les destructions de produits de première nécessité et d’aider les populations les plus défavorisées est louable, le projet de loi du pays apparait incomplet. Le groupe Tavini Huiraatira votera favorablement ce texte mais attend des réponses à ses interrogations.
Je vous remercie de votre attention. Mauruuru i te faarooraa mai !
Mme Éliane TEVAHITUA