INTERVENTION
- Intervenante du groupe U.P.L.D. : Mme Éliane TEVAHITUA
- Rapport n° 20-2015 du 27 mars 2015
- Lettre n°1181 /PR du 25 février 2015
- Délibération portant approbation par l’Assemblée de la Polynésie française de la convention relative à l’attribution par l’Etat d’une dotation annuelle de 12 millions d’euros sur le triennal budgétaire 2015, 2016 et 2017 destinée au régime de solidarité territorial de la Polynésie française (RST).
- Temps de parole : 11 minutes
DOCUMENTS
Correspondance
Intervention
Questions écrites
SESSION EXTRAORDINAIRE – 3ÈME SÉANCE DU 02/04/2015
Rapport relatif à un projet de délibération portant approbation par l’assemblée de la Polynésie française de la convention relative à l’attribution par l’État d’une dotation annuelle de 12 millions d’euros sur le triennal budgétaire 2015,2016 et 2017 destinée au régime de solidarité territorial de la Polynésie française (RST)
Monsieur le président.
Chers collègues, on doit à notre assemblée d’avoir mis en place le RST par une délibération du 3 février 1994. Sa création, comme l’a souligné le CESC dans un rapport récent, « répondait à un besoin de justice sociale et à une volonté de protéger la population sans revenu ou dont les revenus étaient inférieurs à 87 000francs ».
Ce régime non contributif était financé par la contribution de solidarité territoriale, la fiscalité et la dotation de l’État jusqu’en 2007.
Quand on observe l’évolution du nombre de ressortissants au RST depuis sa création, on constate que ce nombre était de 47 000 en 1995, soit 21 % de la population. Il atteint aujourd’hui le chiffre de 80 000 personnes inscrites et représente 30 % de la population actuelle. En 20 ans, le nombre de ressortissants au RST a quasiment doublé et on peut considérer qu’un tiers de la population actuelle s’est paupérisé. Si les comptes administratifs du RST ont pratiquement toujours été à l’équilibre jusqu’en 2010, à compter de 2011, ils commencent à devenir déficitaires.
Ainsi, le déficit cumulé au 31 décembre 2014 est estimé à 4 milliards. Pour l’exercice 2015, les dépenses du RST s’élèvent à 27 milliards et le déficit de cette année est estimé à 3 milliards que la dotation de 1,4 milliard promise par l’État ne comblera qu’à moitié. Il faudra encore trouver les 1,6 milliard manquants. À ce jour, la situation du RST s’est fortement dégradée. Pourquoi est-on arrivé là ?
Certes, ce régime non contributif connaît une inflation incontrôlée et non-maîtrisée de ses dépenses sociales et de santé qui s’avèrent supérieures aux ressources existantes, mais l’État porte aussi sa part de responsabilité dans l’apparition et l’aggravation de ce déficit. Comme l’indique ajuste titre le rapport du 27 mars de la commission de l’économie, notre pays a « permis à la France de devenir une puissance militaire mondiale et d’être leader dans le domaine du nucléaire civil ».
Par conséquent, la participation de l’État au financement du RST ne constitue qu’un dû, une contrepartie a minima à l’égard des Mâ’ohi laissés-pour-compte de l’économie artificielle de garnison qu’il a créée pour ses besoins d’expérimentations nucléaires. Si cette dotation s’est concrétisée annuellement entre 1994 et 2007 avec un montant moyen de 2,8 milliards, « en 2008, l’État se retire du financement du RST, alors que le nombre de ressortissants s’accroît rapidement en raison de la crise économique ».
Aujourd’hui, 7 ans après avoir déserté et fui ses responsabilités vis-à-vis des Polynésiens, l’État revient au financement du RST à compter de cette année et de façon limitée dans le temps, pour seulement 3 ans et à raison de 1,4 milliards par an. Cette dotation représente 50 % en moins de sa participation annuelle moyenne entre 1994 et 2007.
De plus, l’État impose des conditionnantes au Pays en lui intimant l’ordre d’effectuer des « réformes structurelles que le gouvernement de Polynésie française devra poursuivre pour équilibrer le RST et préserver son avenir au profit des Polynésiens » selon les termes mêmes de Madame Pau Langevin, ministre des Outre-mer, lors de sa venue récente dans notre pays.
Quand on examine cette convention, sur la forme, les engagements de l’État se limitent à 3 mesures contractuelles contre 12 obligations pour la Polynésie. Dans les 12 mesures devant être mises en oeuvre par le pays, la quasi-totalité de celles-ci n’a rien à voir avec le RST. Elles outrepassent le champ du RST. Au travers de ces mesures que nous estimons inappropriées, l’État s’immisce dans les compétences du Pays et de ses établissements publics, au grand dam de votre statut d’autonomie, Mesdames et Messieurs les autonomistes.
Cela nous ramène encore au constat d’un statut de pacotille qui ne protège pas le Pays des visées autoritaristes et néocoloniales de l’État ! Au niveau des engagements de l’État, quand; on observe les modalités qu’il fixe pour le versement de sa dotation annuelle, au lieu d’être versée en une fois par an pour faciliter les choses, celle-ci est versée en deux échéances et sous la contrainte pour le Pays de réaliser les engagements exigés.
De plus, le retour de l’État n’est prévu que sur trois ans, et au-delà, c’est le néant ! Reviendra-t-il proposer une autre convention ou cessera-t-il sa participation comme en 2007 ? Motus et bouche cousue sur ce sujet !
Pour ce qui concerne l’alignement des tarifs de soins appliqués aux Polynésiens sur les tarifs appliqués aux assurés de France, je dirai qu’il était temps !
Cette différence de traitement n’a que trop duré !
Elle dénote d’ailleurs cette considération très ethnocentriste que les Polynésiens demeurent des citoyens de seconde zone, après les avoir pris comme cobayes de leurs essais nucléaires dans le Pacifique !
Nous estimons que l’État devrait rembourser ce surcoût imposé aux Polynésiens pendant des décennies ! Rien que cette rectification fera économiser à la CPS 700 millions par an. Si l’on prend en compte les 10 dernières années de surfacturation, cela représente un dû à la Polynésie de 7 milliards environ. Sur les 20 dernières années, cela représenterait un dû de 14 milliards.
À côté de ces chiffres, la dotation triennale de 4,2 milliards prévue par la convention fait pâle figure et s’apparente à un marché de dupes !
Le rapport de commission nous apprend même qu’entre un Polynésien et un étranger résidant en France en situation irrégulière, ce dernier serait mieux traité car il bénéficie d’une prise en charge totale des soins qui coûte en moyenne à l’État 314 000 francs par personne. Rien qu’en 2013, cette aide médicale d’urgente lui a coûté 88 milliards de francs pour 282 400 étrangers bénéficiaires.
D’un côté la promesse de 1,431 milliard de F CFP par an assortie de conditionnalités exagérées, et de l’autre, le robinet des aides médicales ouvert pour les étrangers. Il y a assurément deux poids, deux mesures.
Même un étranger a droit à plus de considération qu’un Polynésien !
Pour ce qui concerne l’effacement de la dette de 74 millions du RST auprès de l’APHP, c’est une « mesurette » comparée aux conditions défavorables et discriminatoires imposées aux Polynésiens dans le cadre de leurs hospitalisations en France.
Dans la présentation faite en commission le 27 mars, notre collègue Gilda a raison d’insister sur la totale incohérence entre les conditions de prise en charge des malades polynésiens et les principes républicains doctement énoncés dans le Préambule de la Constitution française —je cite — : « L’égalité des droits et des devoirs au profit des peuples d’Outremer, l’égalité des droits et de la protection garantie à tous… ».
Des mots grandiloquents qui ne s’appliquent pas aux Polynésiens ! Au niveau des engagements du Pays, la quasi-totalité des mesures à exécuter n’a pas sa place dans cette convention qui ne concerne que le RST.
Ainsi dans les 7 premières mesures initiées devant être poursuivies, seule la mesure sur les conditions d’admission au RST a un lien avec l’objet de la convention.
Les 6 autres mesures, même si elles sont importantes et doivent faire l’objet de réformes, ne concernent pas le RST.
De plus, elles rentrent dans le champ des compétences du Pays et non de celles de l’État. C’est le cas du Schéma d’Organisation Sanitaire, de la réforme de la PSG, de la convention d’entreprise de la CPS, de la liste des longues maladies, de la réforme fiscale remplaçant l’impôt sur les transactions par l’impôt sur les bénéfices, et enfin de la dotation annuelle du FADES. La réforme fiscale n’a pas lieu de figurer dans cette convention d’autant qu’aucune étude d’impact n’a été réalisée.
L’UPLD est favorable à son retrait de cette convention. Pour le FADES comme pour les autres mesures, nous ne voyons pas trop la logique de le voir inclus dans la convention sur le RST. Le FADES est un compte spécial créé en 2011 pour apurer le déficit cumulé au 31 décembre 2010 de la branche maladie du régime général des salariés.
Le Pays verse en moyenne chaque année à ce régime la somme de 800 millions jusqu’à résorption complète du déficit de 14,7 milliards. Quand l’État vient imposer l’élaboration d’une loi de pays pour rendre obligatoire la dotation annuelle du FADES, il dépasse manifestement ses droits.
L’UPLD est donc favorable à son retrait de la conventionDans les 5 autres nouvelles mesures à mettre en œuvre portant sur la rémunération des soignants, la tarification des médicaments, le financement par la T2A et la dotation globale des établissements hospitaliers, et enfin la dotation d’amortissement de l’hôpital, aucune ne concerne directement le régime de solidarité.
L’État donne nettement l’impression, au travers de ces mesures, de vouloir imposer ses diktats à la Polynésie et dans les domaines des compétences de notre pays. C’est pourquoi l’UPLD est favorable aux amendements judicieux apportés en commission et votera favorablement pour cette convention remaniée.
Mais au-delà de ce vote favorable, nous estimons que la situation actuelle du RST ne peut uniquement s’appréhender à partir d’une approche purement comptable et financière. Lors de la séance du 11 décembre 2014, notre assemblée avait examiné et voté la résolution relative aux atolls de Moruroa et Fangataufa.
L’alinéa fondamental de cette résolution disait ceci : « L’assemblée sollicite de l’Etat la reconnaissance officielle du nucléaire comme un fait de l’histoire commune de la France et de la Polynésie française, ainsi que la reconnaissance du préjudice ainsi causé d’un point de vue sanitaire, environnemental et économique. Elle entamera toute discussion utile afin d’obtenir les dédommagements demandés, si nécessaire par la mise en œuvre de toute action nécessaire à cette fin. ».
Les 80 000 ressortissants au RST sont les laissés-pour-compte de la société post essais nucléaires créée par la France pour ses besoins de puissance et de grandeur. L’existence même de ce régime de solidarité est l’expression sociale de ces fameux préjudices causés au peuple polynésien.
C’est pourquoi la reconnaissance de l’État doit se traduire par des compensations financières pour le préjudice social consécutif à 30 ans d’essais nucléaires. Et pour amener la France à reconnaître le fait nucléaire et ses conséquences sociales, sanitaires, économiques, environnementales, le chemin passe obligatoirement, ne vous en déplaise, par New York.
Nous vous invitons, vous les autonomistes, à venir avec Oscar Temaru lors de son prochain déplacement à l’ONU. Ce n’est qu’à cette condition que les Polynésiens pourront discuter d’égal à égal avec la puissance administrante qu’est la France.
Et pour terminer, Mesdames et Messieurs, je citerai une formule du Pape actuel qui disait — non, ce n’est pas Benoît, c’est François — : « N’ayez pas peur, rejoignez-nous et entrez dans l’espérance ».
Je vous remercie de votre attention
Mme Éliane TEVAHITUA