INTERVENTION
- Intervenante du groupe Tavini Huiraatira : Mme Éliane TEVAHITUA
- Rapport nº 115 – 2013 du 15/11/2013
- Lettre n° 7001/PR du 12 novembre 2013
- Temps de parole : 11 mn
- Consigne de vote : Défavorable
DOCUMENTS
SESSION BUDGETAIRE 6E SEANCE DU 29/11/2013
Rapport sur le projet de loi du pays portant dispositif d’incitation au départ volontaire des fonctionnaires des catégories C et D de la Polynésie française
Monsieur le président.
La masse salariale du pays hors ses établissements publics administratifs coûtent 30 milliards environ par an au budget du pays ; elle pèse lourdement sur nos comptes publics.
Du fait des difficultés budgétaires et financières récurrentes que connaît notre pays depuis quelques années, le redressement des finances s’impose et exige une maîtrise des dépenses publiques ainsi qu’une redéfinition du périmètre de l’action publique sans pour autant nuire à la qualité du service public.
Il passe nécessairement par la réduction de la masse salariale de l’administration car « la Polynésie française est dotée d’un taux d’agents publics relativement élevé ». Notre pays compte, en effet, 101 agents pour 1 000 habitants contre 93 agents, en France, et 27 % d’emploi public sur emploi total contre 22 en France.
Que veulent dire ces chiffres ?… Ces chiffres veulent tout simplement dire que nous disposons d’un surcroît de 8 emplois publics par millier d’habitants.
En clair, notre fonction publique est pléthorique car elle emploie environ 2 000 personnes de plus que si elle avait le même taux d’emploi public que celui de la France. Le dispositif d’incitation au départ volontaire ici présenté vise prioritairement les fonctionnaires des catégories C et D invités à quitter l’administration pour se reconvertir dans le secteur privé.
Ceux-ci représentent plus de la moitié des effectifs de notre administration c’est-à-dire 56 %, et la parcelle des agents de catégorie D représente 39 % de l’effectif total. Le dispositif ne concerne pas les personnels d’encadrement de catégorie A (13 % d’agents de catégorie A) ni ceux de catégorie B.
Il est prochainement envisagé d’étendre cette mesure aux agents d’exécution ANFA par voie d’avenant à leur convention collective, de même récemment que les ENIM et PNNIM alors qu’au départ, comme le notait le CESC, les PNNIM étaient exclus de ce dispositif. Si un plan de départ volontaire est indispensable parce qu’il constitue une avancée importante pour le redressement de nos finances publiques et parce que son coût serait largement compensé par les économies réalisées sur la masse salariale des fonctionnaires, les modalités que vous souhaitez mettre en œuvre appellent de notre part plusieurs remarques. Revoyons, si vous le voulez bien, les conditions ouvrant droit à ce dispositif.
Pour pouvoir prétendre au dispositif :
1) L’agent devra être un fonctionnaire de catégorie C ou D de la fonction publique. Si le choix des agents de ces catégories de personnel d’exécution me parait pertinent car leur masse salariale représente la plus lourde dépense en personnels, il convient de prendre en compte le fait que ces agents sont déjà, pour la plupart, bien avancés dans leur carrière et en âge, les rapprochant de la possibilité de partir à la retraite, même de façon anticipée. Donc, il pourrait y avoir un effet d’aubaine permettant le cumul de la prime de départ et une retraite imminente. Je reviendrai sur ce point sous peu.
2) L’agent devra être en activité et justifier d’au moins cinq ans de service dans un service ou un établissement public administratif. Par conséquent, le dispositif est ouvert à déjeunes fonctionnaires en tout début de carrière.
Cela signifie que l’âge minimal d’un bénéficiaire de cette mesure pourrait être de 23 ans s’il a été embauché dans l’administration du pays à 18 ans.
Dans ce cas précis et s’il accepte ce plan de départ volontaire, on peut se demander ce qu’il fera le lendemain de sa radiation des cadres de la fonction publique.
Que fera-t-il s’il ne retrouve pas de travail dans le secteur privé, vu sa faible qualification professionnelle et vu le contexte actuel peu propice du marché de l’emploi ?
Que fera-t-il une fois les 20 mois d’indemnités dépensés sans qu’il n’ait pu ni créer sa propre activité ni retourner dans son archipel et île d’origine ?
Que fera-t-il s’il a contracté des emprunts de longue durée ? Il ira s’inscrire au RSPF pour retrouver une couverture sociale.
S’agissant pour la plupart de pères de famille, ses ayant-droits naturels, femme et enfants, seront de même inscrits au régime de solidarité après avoir été bénéficiaires du régime général des salariés.
Dans le cas d’un crédit en cours, il ne sera plus en mesure de le rembourser. Ces familles iront grossir les rangs de celles en situation de grande précarité. Pourtant, vous affirmez que votre projet vise essentiellement les agents qui sont dans une logique de reconversion et de réinsertion économique.
Mais, comment ferez-vous le tri quand cela n’est pas précisé dans votre projet de loi du pays ? Quelle reconversion et réinsertion économiques prévoyez-vous pour ces futurs radiés de la fonction publique, réputés sans diplôme ni qualification professionnelle, les rendant attrayants sur les marchés du travail ?
Votre plan est complètement muet sur les mesures d’accompagnement de ces agents en vue d’une formation ( et d’une requalification professionnelle).
Pourtant, il est avéré depuis l’enquête réalisée sur la pauvreté en Polynésie française en 2009 que : « le déterminant le plus significatif de la pauvreté, qu’elle soit monétaire ou en condition de vie, est sans conteste le manque d’instruction » ; «à éducation légale, le chômage est un facteur aggravant car il accroît le risque de pauvreté de 40 % par rapport à celui d’un actif occupé » ; « habiter en milieu rural et ne pas avoir de diplôme expose fortement un ménage à subir au moins 3 des 13 privations jugées essentielles ».
Par contre, « le diplôme protège contre le risque de pauvreté », « chaque niveau d’éducation supplémentaire atteint réduit de moitié le risque de pauvreté monétaire », « le fait d’avoir le baccalauréat divise ainsi par deux le risque de pauvreté par rapport au fait de n’avoir suivi qu’une éducation primaire ».
En vertu de ces fondamentaux, se contenter d’évacuer hors de la fonction publique des agents sans qualification-ou faiblement qualifiés revient à plus ou moins brève échéance à les exposer, eux et leur entourage familial, à des conditions de vie matérielles précaires.
3) De plus, dans le projet de loi, aucune condition d’âge n’est requise. Ce plan de départ volontaire s’adresse à l’ensemble des fonctionnaires de catégorie C et D quelque soit leur âge.
La seule limitation apportée est que le fonctionnaire ne doit pas remplir les conditions d’ouverture au droit à une pension de retraite à la date de sa radiation des cadres de la fonction publique.
En l’absence de conditions d’âge clairement établies, cette formulation est très vague. L’exposé des motifs et l’article LP 1 reste en effet sibyllins, pour ne pas dire obscurs, sur les conditions excluant les bénéficiaires d’une retraite anticipée ou à taux plein car aucun délai entre le départ ou démission de la fonction publique et la date d’ouverture de leurs droits à pension n’est indiqué.
Or, ce délai est de 5 ans au minimum dans la fonction publique territoriale en France.
En Polynésie, si l’âge légal pour obtenir une pension de retraite sans abattement est de 60 ans ou après 35 années de service validées, un départ anticipé à la retraite est possible à partir de 53 ans. Ainsi, un fonctionnaire de 53 ans bénéficiant du dispositif de départ volontaire au 1e r janvier 2014, par exemple, remplira les conditions pour bénéficier d’une retraite anticipée au 1e r juillet 2014 à l’âge de 53 ans et 6 mois.
L’effet d’aubaine est indéniable et la prime de départ volontaire constitue une cagnotte de pré retraite !
4) Votre dispositif est très généreux vis-à-vis des futurs fonctionnaires bénéficiaires car pas moins de 20 mois de salaires bruts sont proposés aux agents.
Ces indemnités représenteront un montant moyen de prime de départ volontaire de l’ordre de 8 millions F CFP. Le projet de loi ne prévoit pas, et cela est regrettable, de soumettre les conditions d’attribution à l’obligation de créer ou de reprendre une petite entreprise ou de mener à bien un projet personnel tel que le retour dans son île ou archipel d’origine, comme cela existe ailleurs.
De plus, vous escomptez de façon aléatoire sur un départ annuel de 300 agents C et D, soit 300 en 2014, 300 autres en 2015, etc., sans savoir vraiment combien d’agents seront intéressés par cette mesure.
Vous avouez, en commission, manquer de visibilité à court ou moyen terme pour ces personnes, assimilant ainsi votre démarche à du bricolage et du dilettantisme ou pire à celle d’apprentis sorciers.
5) Votre projet de loi ne priorise aucun secteur d’activité de la fonction publique. Est-ce que le choix est laissé entièrement à l’appréciation des volontaires qui se présenteront ? Dans ce cas-là, quid du choix de l’administration et du Président du pays, supposé être le chef de cette administration?! Pourquoi dédaigner les recommandations du CESC qui préconisait, dans un avis rendu l’année dernière, de cibler « certaines activités telles que le gardiennage, l’entretien des bâtiments et des véhicules, l’événementiel et la gestion des parcs et jardins » car « ces activités peuvent être externalisées et confiées au secteur privé » ?
De plus, ce projet de loi ne précise aucunement que les postes budgétaires libérés soient définitivement gelés ; ce qui laisse penser que des recrutements futurs permettront de repourvoir ces postes, annihilant ainsi la finalité assignée à ce dispositif.
6) Le cadre juridique de votre plan de départ volontaire « n ‘a pas vocation à s’appliquer uniquement en 2014 ». Vous ne prévoyez aucune délimitation dans le temps du dispositif.
Or, tout plan de départ volontaire dans n’importe quelle collectivité ou fonction publique de par le monde, revêt toujours un caractère exceptionnel pour répondre à une situation donnée. V
ous, par contre, vous comptez ériger l’exception en norme en pérennisant ce dispositif.
7) Ce dispositif impactera forcément sur notre protection sociale par une diminution du nombre de cotisants au RGS, suivi concomitamment d’une baisse de cotisations à ce régime. De plus, la perte de cotisations engendrée par le départ annuel de ces 300 fonctionnairene sera pas forcément compensée par de nouvelles admissions au régime des salariés.
A contrario, les agents sortis du système salarié viendront abonder le régime de solidarité territoriale ainsi que leurs ayant-droits familiaux. Avez-vous une idée précise des dommages collatéraux de votre projet de loi ? • Pour terminer, le coût estimé de votre dispositif est de 8 millions par agent, ce qui revient à un coût annuel estimé de 2,4 milliards de F CFP pour 300 agents. La moitié de cette somme, c’est-à-dire 1,2 milliard, serait financée par l’État. À ce jour, vous n’avez reçu aucune garantie de sa part, rendant aléatoire la réussite de votre dispositif.
Aussi, l’impression générale que dégage votre projet de loi est celle de la précipitation, de l’imprévoyance, de dilettantisme et du dédain des recommandations formulées par la quatrième institution de notre pays.
Aussi, nous ne cautionnerons pas votre dispositif
Mme Éliane TEVAHITUA